Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes (ASET)
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes (ASET)

un lieu d'échanges pour les membres de l'association
 
AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment : -55%
Coffret d’outils – STANLEY – ...
Voir le deal
21.99 €

 

 l'enfant et les jeux du cirque

Aller en bas 
AuteurMessage
Olivier 75
Rang: Administrateur
Olivier 75


Nombre de messages : 116
Localisation : ici et là
Date d'inscription : 11/05/2005

l'enfant et les jeux du cirque Empty
MessageSujet: l'enfant et les jeux du cirque   l'enfant et les jeux du cirque EmptyMer 14 Juin à 12:15

Avant d'être une affaire électorale ou préfectorale, le problème des sans-papiers est un drame humain.

L'enfant et les jeux du cirque


par Germain LATOUR
QUOTIDIEN : mercredi 14 juin 2006
in Libération

Germain LATOUR avocat au barreau de Paris.





Il faut se souvenir. C'est le juste prix, jamais excessif, de la dignité d'exister. Aux situations extrêmes par le déchirement dont elles sont la cause, il faut des mots forts pour que l'image demeure au-delà de l'effet d'annonce. C'est donc une ville à toute autre pareille, avec ses humeurs, ses colères, ses nonchalances et ses affolements irrationnels. On peut la surprendre dans ces désordres intérieurs à midi ou au crépuscule, mais parfois ceux-ci ont été précédés par la rumeur dès le matin. Il n'y paraît jamais rien et jamais personne n'est au courant, pourtant tout se sait et tous le savent. Il est difficile de l'ignorer alors, imaginez, le taire... Néanmoins, peu à peu, on s'est habitué à cette présence toute faite de l'absence d'existence apparente. On a fini par se faire à ces visages, à ces vêtements que l'on dit de coutume parce qu'on n'imagine pas que la misère, parfois, se cache aussi sous les couleurs avec dignité, celle qu'on ne retire jamais au fond de l'homme. Parfois, on entend des bruits, on ne croit pas à des plaintes ni encore moins à des cris de joie. Quand on n'est rien, peut-on encore partager quelque chose entre soi ?

Puis un jour un visage, entre tous pareil, vient à manquer chez l'épicier ou tout simplement à l'arrêt de bus, le soir ou déjà le matin. On pense immédiatement à un retard, peut-être à une maladie, rarement à un départ brusque. Puis le lendemain ou le soir même, un pressentiment plus lourd se fait avec lequel on se couche et avec lequel il faudra bien se réveiller. On se rendra alors à l'évidence qu'il n'est plus là, qu'elle n'est plus sortie depuis longtemps. Même l'enfant vient à manquer, qui témoignait que la vie cachée demeurait la vie. Quand on dit l'enfant, en fait, ils étaient deux, un garçon et une fille.

Puis, on s'est habitué. Comme l'écrit l'auteur Elie Wiesel dans la Nuit (aux éditions de Minuit) : «Des jours passèrent. Des semaines, des mois. La vie était redevenue normale. Un vent calme et rassurant soufflait dans toutes les demeures. Les commerçants faisaient de bonnes affaires, les étudiants vivaient au milieu de leurs livres et les enfants jouaient dans la rue.» Les enfants dont il est question sont bien évidemment les autres enfants ; plus le garçon et la fille, en fait, le frère et la soeur évoqués. Curieusement leur départ leur a redonné un prénom qui fera durer leur visage plus longtemps que leur enfance.

«Nous avons retrouvé Rachel et Jonathan. Certains d'entre nous les ont aidés, cachés, hébergés, nourris et protégés de la police. Nous sommes prêts à continuer, et à faire de même pour tous les enfants se trouvant dans cette situation.» Rien de la vie ordinaire de ceux qui ont déclaré cela et l'ont écrit ne les prédestinait à se distinguer de la sorte, à commettre ce geste qui élève toujours ceux qui en ont le courage à la position de «justes». Qu'a-t-il fallu pour qu'un jour ils décident de ce passage à l'acte ? Le secret et la grandeur de cette délibération toute personnelle qui président toujours à la décision prise, qui font d'un homme qu'il est meilleur qu'un autre, resteront à jamais dans le silence qui habille de noblesse tout acte de résistance.

Il faudra se souvenir et n'oublier jamais que cette déclaration collective fut signée à Paris un 23 septembre 2005. Oui, septembre 2005. Rachel et Jonathan étaient simplement noirs, deux gamins noirs parce que Congolais. Ils étaient et ils demeurent à Paris ­ bien souvent dans l'ignorance de leurs camarades de classe ­ dans cette terreur d'un autre âge d'être enlevés sur un trottoir juste avant ou juste après la classe, sur ce chemin ordinaire, pour d'autres, qui mène à l'école. Parce que leurs parents épuisés, misérables dans la vraie misère et sans avenir, ont commis la folie d'aimer et de mettre leur vie au secours et au péril de l'avenir qu'on interdisait ailleurs, c'est-à-dire chez eux, à leurs enfants. Parce que ces enfants ont dû apprendre à taire les conditions terrifiantes de leur subsistance, la clandestinité de leurs parents qui ne fait injure qu'à l'indignité de nos silences, il faudrait que l'on admette, pire, que l'on s'habitue à l'idée qu'ils puissent «disparaître» en pleine rue ? Il faudrait que l'on accepte qu'au cas par cas, à la façon, pour ne pas écrire à la faveur comme on dit «bon plaisir», d'un empereur de papier, le sort de ces enfants puisse dépendre de la condition expresse et arbitraire entre toutes qu'il(s) soi(en)t «arrivé(s) en très bas âge, scolarisé(s) en France, ne parle(nt) pas la langue de son (leur) pays d'origine (et) n'ai(en)t aucun lien avec ce pays» (déclaration du ministre de l'Intérieur, candidat déclaré à l'élection présidentielle, le 6 juin 2006 devant le Sénat).

Pour plus de sûreté, il ne manque plus que d'exiger, en outre, que tout enfant de cette origine étrangère irrégulière ayant atteint l'âge de raison par une déclaration sur l'honneur et écrite répudie ses père et mère pour que l'ordre public soit sauf mais définitivement scélérat (de scelus, sceleris, crime).

Résolument, à Paris, à peine soixante années après ce qu'évoque la réminiscence, on ne peut accepter ce statut «de l'enfant migrant clandestin».

Définitivement, en paraphrasant Ismaël Kadaré qui disait, dans le Crépuscule des dieux de la steppe, qu'il faut savoir chercher la liberté là où n'y a pas de liberté, il faut affirmer qu'il faut défendre la dignité d'exister de ceux à qui on prétend la retirer pour des raisons de couleur de peau, de croyance, d'ethnie d'appartenance ou de misère d'origine étrangère intolérable. Paris n'est plus Lutèce, ni l'avenir d'un enfant un jeu pour le cirque électoral offert aux citoyens, comme si la République permettait encore qu'on entretienne ainsi une clientèle.

Dernier ouvrage paru : les Deux Orphelins, l'affaire Finaly 1945-1953, Fayard.
Revenir en haut Aller en bas
 
l'enfant et les jeux du cirque
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes (ASET) :: SOUS LE CHAPITEAU :: Palabres sur tout et n'importe quoi !-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser