Voïvodine : intolérance croissante envers les minorités
TRADUIT PAR STÉPHANE SURPRENANT
Publié dans la presse : 5 octobre 2005
La pauvreté, les changements dans la structure ethnique et l’héritage problématique des guerres des années 1990 détériorent le climat social dans la province septentrionale de la Serbie. Attaques contre les minorités nationales, les Églises non-orthodoxes, les groupes homosexuels : rien ne va plus en Voïvodine.
Par Robert Vizi
Lorsqu’un jeune criminel du quartier rom (la « mahala ») de Sivac a tué un jeune Serbe, après en avoir blessé un autre un peu plus tôt, les Serbes se sont fait justice eux-mêmes.
Ils se sont rassemblés à l’Hôtel de Ville de Kula, la plus grande ville des environs, pour annoncer que les Roms de Sivac avaient jusqu’au 20 octobre - l’anniversaire de la libération de la ville pendant la Seconde Guerre Mondiale - pour abandonner leurs maisons. Certains criaient : « Vermine ! » - et même « Nous voulons Hitler ! ».
La menace n’était pas une parole en l’air. Cette nuit-là, des hommes ont fait irruption dans la mahala. Heureusement, ils n’ont trouvé personne : les six familles, regroupant 27 personnes, avaient déjà fui.
Cependant, selon les chefs roms locaux, ce n’était pas la fin des problèmes des Roms vivant à Sivac et aux alentours.
Miodrag Pesic a affirmé que les Roms n’ont pu se déplacer librement ni le jour ni la nuit et que les habitants serbes ont inspecté la mahala durant la nuit pour s’assurer que personne n’était revenu.
Les patrouilles improvisées ont continué jusqu’au 5 septembre, quand les représentants des Roms ont rencontré Tamas Korhec, Secrétaire aux Minorités nationales de Voïvodine, qui leur a promis la protection de la police. Ce jour-là, les Roms sont enfin rentrés dans leur mahala.
L’incident édifiant de Sivac n’est pas un phénomène isolé en Voïvodine. Partout à travers la province, les activistes des droits de l’homme déplorent que les groupes minoritaires soient victime d’une intolérance croissante de la part de la majorité serbe, amère en raison de la pauvreté et des guerres des années 1990.
La plupart des observateurs font remonter l’origine du problème à la rhétorique nationaliste radicale de Slobodan Milosevic, à la fin des années 1980.
Milan Djukic, de l’ONG Réseau pour le Changement Yukom, soutient que le climat d’intolérance s’est détérioré depuis, vu une situation économique précaire, une structure ethnique profondément modifiée et une dérive de la scène politique vers la droite.
Une structure ethnique modifiée
C’est le profil ethnique de la province, peut-être, qui a changé de la façon la plus visible ces dernières années. Les guerres des années 1990 ont forcé beaucoup de jeunes Hongrois et Croates à émigrer. Les réfugiés serbes de Bosnie-Herzégovine et de Croatie ont pris leur place. Certains ont rejeté leurs frustrations sur d’autres communautés.
Les Roms ne sont pas les seuls à avoir senti le vent glacial de l’intolérance. On recence aussi des attaques contre des églises non serbes et contre des groupes homosexuels.
Vladimir Ilic, du Centre pour le Développement de la Société civile, basé à Zrenjanin, a noté en juin une vague d’attaques contre des églises protestantes à Novi Sad, Zrenjanin et Backa Palanka. L’église adventiste de Ruma, raconte-t-il, a été attaquée cinq fois en six mois.
Plusieurs autres villes et villages sont aujourd’hui défigurés par des graffitis chauvins, tandis que la ville de Mali Idjos a été le théâtre de plusieurs incidents violents entre Serbes et Hongrois, ainsi qu’entre Serbes et Monténégrins, trois communautés qui vivent les unes aux côtés des autres dans la ville.
Plusieurs analystes croient qu’il existe des liens étroits entre l’Église orthodoxe serbe, très nationaliste, et les auteurs des agressions.
Milan Djukic, du Réseau pour le Changement, soutient que ces derniers voient de plus en plus tout ce qui est extérieur à l’Église orthodoxe comme une cible. Ces gens, d’après lui, n’hésitent pas à lancer des pierres contre des églises ou profaner des tombes et des cimetières appartenant aux minorités.
Pavel Domonji, du Comité Helsinki pour les Droits humains en Vojvodine, a déclaré que l’augmentation des tensions et de l’animosité envers les groupes minoritaires, qu’ils soient religieux, ethniques ou sexuels, datent du régime de Milosevic - mais qu’il n’y a jamais eu de rupture claire avec ces politiques.
« Nous vivons toujours à l’ombre des politiques qui nous ont menés à des conflits avec les autres peuples de l’ancienne Yougoslavie et avec la communauté internationale », a-t-il dit.
Pavel Domonji ajoute qu’il était absurde de déclarer les Roms de Sivac collectivement coupables d’un crime commis par un seul homme tout en niant la responsabilité collective liée aux crimes de guerre commis par les Serbes durant les guerres des années 90 en Bosnie, en Croatie et au Kosovo. « Il est clair que la majorité frustrée cherche un bouc émissaire sur qui passer sa colère », a poursuivi Domonji.
Mise en ligne sur le site Courrier des Balkans: mardi 11 octobre 2005
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